28 avril 2008

Mon grand frère a dit

Je réagis suite à l’arrestation d’un délinquant multi récidiviste qui aurait avoué le meurtre d’une jeune suédoise de 19 ans… je passe bien entendu tant par respect pour la famille que pour la clarté des informations que détiennent les journalistes sur les faits en soi, mais j’ai envie de prendre en main la réaction de notre ministre de la défense concernant un (je cite) « dysfonctionnement du système de fichage des délinquants sexuels ». Bien sûr, au premier abord la chose est on ne peut plus raisonnable et même nécessaire mais j’ai comme une drôle d’impression, notamment si l’on rapproche cette remarque à celle émise par la CNIL (Commission nationale de l’Informatique et des Libertés) dont le but est d’empêcher toute dérive sur le domaine du fichage justement concernant le système Ardoise. Connaissez-vous Ardoise ? C’est l’acronyme pour « Application de recueil de la documentation opérationnelle et d’informations statistiques sur les enquêtes ». Ce n’est pas plus clair ? En gros c’est une application informatique de la recherche et de recoupement des données disponibles dans les systèmes informatiques de tous les services de la police nationale.

Voyez-vous de quoi je parle ? Le titre ne vous semble toujours pas explicite ? Bon… précisons alors un peu le problème. Le fameux Ardoise a été mis en doute et surtout mis sur le devant de la scène à cause de la présence de mentions sur la sexualité des personnes fichées, leur obédience ou bien leur appartenance syndicale. Là déjà c’est autrement plus « douteux » qu’un simple principe de pouvoir rapprocher criminels et délits potentiels ! Allons plus loin : Ardoise contiendrait donc des informations du genre « homosexuel », « transsexuel », « handicapé », « sans domicile fixe », « personne se livrant à la prostitution », « travesti », « relation habituelle avec personne prostituée », « personne atteinte de troubles psychologiques », « usager de stupéfiants », « permanent syndical ». Conséquence ? Un niveau de fichage que la France n’a connue (officiellement) que du temps de l’occupation avec les fiches de la Gestapo. Ca y est ? Vous tremblez ? Mes pauvres lecteurs, vous avez sûrement l’impression que j’agite un épouvantail malsain histoire de prôner la liberté d’opinion et bien entendu me refuser à être un matricule… hélas non, je me dois de me récrier car dans l’absolu je ne saurais contester la nécessité d’un certain nombre d’outils pour les forces de l’ordre. Là où cela coince c’est avant tout sur l’usage qui est fait de tels dispositifs.

Revenons un peu sur les fiches des délinquants sexuels. Qu’est-ce qu’un délinquant sexuel ? Si l’on me dit violeur, pédophile, agression de tout ordre ayant un trait au sexe là oui je ne peux qu’accepter que de tels individus potentiellement récidivistes (c’est d’ailleurs le plus fort taux de récidive parmi les crimes recensés) soient listés et correctement identifiés. A présent, si l’homosexualité devient un « crime » vu le puritanisme qui va bon train, à quand les fétichistes, les SM et autres « déviants » en microfiches ? Ce que je crains ce n’est pas tant que l’on se dote d’un outil efficace pour la traque de la criminalité, c’est avant tout qu’on puisse l’en détourner justement ! Si l’on ajoute les mentions déjà condamnables de Ardoise à celles présentes dans le fichier des délinquants (emprunte ADN pour information essentielle), m’est avis qu’il sera alors plus simple de pister n’importe qui… n’importe où.

Ce que je conteste donc c’est l’aberration latente qui ne saurait trop traîner : sous prétexte d’une terminologie criminelle tous nous serons susceptibles d’être interrogés et donc traqués sous prétexte que la machine nous aura sorti dans une liste de « suspects potentiels ». L’ordinateur serait big brother ? Contrairement à George Orwell je ne vois pas la machine prendre de décision par elle-même, les critères entrés étant à l’appréciation des enquêteurs. C’est dans la même essence que l’on peut dire qu’un fichier médical est une bonne chose, mais qu’il pourrait devenir quelque chose de dangereux si l’on s’en servait pour lister les handicapés mentaux ou les malades du SIDA par exemple.

Si je suis plutôt circonspect sur les tenants et aboutissants de ces applications, je suis tout aussi inquiet sur la dérive de nos institutions qui tendent à de plus en plus de moyens de rétention de la population. Entre
la Schutzhaft que j’ai décriée il y a quelques temps (cliquer sur le mot pour relire l’article en question) et cette véritable incertitude concernant la protection de notre liberté la plus élémentaire d’être quelqu’un, je n’ai que peu de charité pour ceux qui revendiquent la nécessité de cet arsenal judiciaire. Certes, tout état de droit a le devoir de protéger sa population, mais doit-elle le faire envers et contre tout ? Nous infantilisons notre relation à l’état, et d’électeurs à élus nous allons vers une relation paternaliste peu propice à la réflexion. Hier j’ai râlé contre la propagande de nos médias, aujourd’hui je râle contre le fait que nous taisons ces atteintes à nos fondamentaux. Vous voulez rester aveugles à ces dangers ? Qu’importe, la littérature dite de science fiction (merci 1984 !) saura devenir réalité… Tôt ou tard.

Aucun commentaire: