25 janvier 2008

Se faire bouffer à la sauce banquier.

C’est la nouvelle recette en vogue aujourd’hui aux tables aussi diverses que celle de l’investisseur affairé que du prolétaire besogneux soucieux de ses placements. Tiens, d’ailleurs, ça existe encore le prolo, ce n’est pas le tryptique classique, l’œuvre en trois panneaux ? Un premier décrivant le peuple prisonnier d’une classe supérieure omnipotente, une phase centrale révoltée en vain puisque rapidement écrasée par une oligarchie se servant des idéaux dévoyés et finalement une mort honteuse dans le flot constant d’un retour à l’état de larbin du capital, le début et la fin se refermant alors sur les rêves tout en soulignant l’ignominieuse vacuité de l’Homme. Aujourd’hui donc, depuis que les coupes jarrets se baptisant traders tremblent du fait que les bourses se vident comme lors d’un naufrage la bourse devient le lieu central de tous les fantasmes et le point de mire de millions de regards affolés par des courbes incompréhensibles.

Il n’y a donc pas de précédent historique à l’émergence du système boursier, en tout cas pas à ma connaissance qui soit suffisamment bien installé dans le monde au point de pouvoir y dicter des guerres et y faire naître des désastres sociaux. C’est phénoménal quelque part, nous avons créé un processus pour acheter et vendre les entreprises, donc le travail, et ce selon une estimation fumeuse du prix des dites sociétés en fonction du sens du vent ou de la température anale des grands de ce monde. Reagan avait un rhume ? Hop on s’inquiète et l’indice Dow Jones joue les martyrs. Le président annonce ensuite une « bonne période » ? Les index passent miraculeusement au vert et font que les chutes libres deviennent des escalades vertigineuses. Ainsi, dans la débandade la plus totale on négocie le monde « civilisé » selon l’intuition des uns et la méfiance imbécile des autres. A ce jeu de dupes on peut même faire jouer la méchanceté et l’avarice en se servant d’informations obtenues de manière illégitimes pour faire un gros coup. Et un délit d’initié à la table quatre un ! Et avec ça ? Ce sera une purée de petit porteurs en amuse gueules.

Si certains se disent moraux et même moralisateurs c’est qu’ils ne font pas de commerce. Le commerce a pour pouvoir de jouer d’une abstraction la plus totale de toute réalité humaine. Prenez le marché des pierres précieuses : qu’un caillou soit issu d’une guerre ethnique ou comme financement un massacre cela n’intéresse ni l’acheteur, ni le tailleur, ni même celui ou celle qui l’affichera en sautoir ou en chevalière. La bourse vit la même situation : le pétrole dégorge des tuyaux avec un héritage souillé, les entreprises sabordent à loisir des régions et y laissent un terrain massacré où alcool et délinquance font hélas bon ménage. Pour autant, l’actionnaire est-il responsable ? Et bien non ! Amoral comme il se doit, l’essentiel est d’avoir l’œil et le bon sur la bonne courbe et de vendre au bon moment ou de s’offrir la bonne affaire du moment… pour la refiler à un autre quand cela sera opportun. Le marché est donc opportuniste mais sûrement pas immoral en soi.

Là où tout ceci serait qu’un jeu de monopoly il s’avère qu’il est aussi le repaire de requins, de fossoyeurs et charognards où les premiers dévorent les petits pour grossir, les seconds enterrent les structures moribondes et les derniers se nourrir des dernières bouchées de ceux ayant pétri sur l’autel du capital. Raisonnablement tous ne sont pas ainsi, mais faire du sentiment dans les affaires c’est traverser un champ de mines en sifflotant l’air du pont de la rivière Kwaï. Les erreurs sont fatales et l’argent qui pourtant sait s’appeler lui-même (serait-il donc mouvement perpétuel ?) sait aussi s’évaporer à une vitesse stupéfiante ! 1929 a créé un spectacle de désolation aux USA, a permis aux pires excès de proliférer en Europe, et aujourd’hui on voudrait faire croire qu’il est impossible de torpiller des décennies de paix relative ? L’amoralité du marché n’atteint pas l’immoralité de ceux qui s’en servent. Tour à tour prétexte et raison d’être des guerres, la bourse fait naître des dictatures autant qu’elle déboulonne des politiques. L’URSS ne s’est pas effondrée sans un bon petit coup de main des marchés internationaux, notamment par le jeu du boycott des produits gaziers et pétroliers… Quand le marché fait de la politique il en devient donc despote impitoyable puisque raisonnablement inquiet non des effets mais surtout des conséquences directes sur sa propre existence.

Depuis que l’on « découvre » (je me marre) la crise des crédits, qu’on creuse partout pour trouver où est la fuite des capitaux, toutes les banques et tous les investisseurs cherchent la brèche malheureuse pour la colmater. Seule matière capable de disparaître sans laisser la moindre trace et ainsi de faire mentir Lavoisier (« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. »), le capital fuit par tous les pores au point de faire trembler la maison Blanche, avec le spectre de la récession. Tas d’ahuris qui lisent cela en supposant que c’est un problème… Comme si tout pouvait monter sans jamais redescendre. Techniquement même les satellites finissent par revenir à leur envoyeur, tôt ou tard bien sûr. L’économie ce n’est pas une ligne droite mais avant tout des va et viens incessants entre besoins et production, entre désirs et réalités ; Si nous sommes si tributaires de la bourse c’est que tous nous avons joués les apprentis sorciers en pariant sur la progression d’une société, ceci sans la moindre équivoque sur nos buts : posséder plus.

Si je pense que nous sommes tous des plats et des os à ronger ce n’est finalement pas tant par l’Homme lui-même que par les institutions qu’il a lui-même mis en place : le grand patron père fondateur d’une grosse société peut être expulsé de son fauteuil, tout comme le trader trop fier de ses quotas qui finalement perd tout sur des valeurs improbables. On accuse (et il semble le revendiquer) un guignol d’avoir perdu autour de cinq milliards à la société générale… Lamentable ? Non ! Pamphlétaire, expiatoire, que dis-je indispensable ! Prenez-en de la graine messieurs et mesdames les négociants d’existences : à force de vous croire invulnérables vous en devenez statues géantes aux pieds d’argile, et le petit caillou dans la godasse devient le rocher dans votre belle mécanique.

Quoi faire ? Tout simplement faire en sorte que le marché ne soit pas le cœur de notre vie mais simplement le reflet d’une économie raisonnée où l’achat et la vente se construisent sur des bases saines. Pas de hold-up sur les sociétés qui tentent de vivre, pas plus que de spéculation hasardeuse sur des géants incapables de se mouvoir sans tout briser sur leur passage. La prudence veut juste que l’on sache être raisonnable et ne pas demander des quotas intenables et des performances imbéciles. 15% d’augmentation de bénéfice par an… et pourquoi pas des concessions sur Mars dans 3 semaines tant qu’ils y sont ?! Soupir… Encore une belle brochette de requins aux commandes et de charognards prêts à tout pour se nourrir à la même écuelle.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"Non point celui que tu voles,
Mais la manière dont tu le voles.
Voilà ce qui importe,
Voilà ce qui l'emporte"
Tatouage trouvé sur le torse d'un vieil anar décédé.