08 janvier 2008

La « Schutzhaft » est de retour !

Moi qui pensait continuer sur ma lancée concernant l’Iran et son histoire tourmentée, voilà que madame Dati (ministre de la justice en poste actuellement) nous offre un joli retour aux sources des dictatures avec la réinstauration d’un dispositif juridique fort pratique permettant de maintenir en détention sans condamnation des personnes déjà condamnées. En effet, en classant un détenu comme étant « à risque », le système permettrait alors de le maintenir derrière les barreaux et ainsi protéger la société de ses pires spécimens. Présenté comme ça, il y a de quoi être foncièrement satisfait puisqu’on aurait de moins en moins de récidivistes potentiels dans les rues, ce qui ne saurait que trop rassurer les électeurs, pardon citoyens.

Admettons que la chose parte vraiment d’un bon sentiment et que cette idée soit uniquement fondée sur la nécessité de gérer des cas isolés mais suffisamment marqués pour mériter une justice d’exception. Tout d’abord demandons nous qui va décider : un chef d’établissement pénitentiaire selon le dossier du détenu, un collège de psychiatres après une analyse de son comportement ou encore un juge qui serait alors chargé de prendre une décision par devers lui ? Dans tous les cas cela sous-entend donc l’absence de recours pour le dit prisonnier car tout détenu reconnu coupable qu’il est il est parfaitement illégitime de lui refuser la possibilité de se défendre. Bien sûr, l’argument que le dit détenu est si dangereux qu’il mérite un tel sort sera avancé, mais cela ne saurait être un contrepoids suffisant pour justifier les arrêts sans défenseur.

Prenons le dispositif dans l’autre sens : il existait du temps des Rois de France un système équivalent nommé « lettre de cachet ». Le principe voulait que le Roi prenait une décision et la faisait connaître via une lettre cachetée, ceci uniquement par le destinataire. Ce principe assurait la sécurité et l’exécution de l’ordre vu que seul l’émetteur et le destinataire en connaissaient la teneur. A partir du XVIIème siècle, cette lettre fut systématiquement associée à la détention ou à l’assignation à résidence d’une personne, de lettre donneuse d’ordre la lettre de cachet devint donc une méthode légale d’emprisonner n’importe qui sans jugement. Par analogie, on peut donc estimer que la magistrature ou le gouvernement disposerait donc d’une nouvelle lettre de cachet à la sauce prison pour s’assurer une tranquillité d’esprit sans équivalent. Quoi de plus confortable que d’enfermer pour un délit mineur un opposant, puis de le maintenir en détention perpétuelle par la mécanique de la lettre de cachet ?

Plus proche de nous, un autre système dictatorial a créé une institution juridique sans vrai précédent, celle nommée « Schutzhaft » qui signifie « Détention de protection » ou « détention préventive ». Et oui, une fois de plus l’imagination fut dans le camp des Nazis. Prenons d’abord le contenu de la dite loi : Protéger le détenu contre lui-même et protéger la nation contre le détenu. Dans les faits, c’est par la Schutzhaft que furent déportés et placés en camps de concentrations les premiers opposants au régime, puis ensuite tous les résistants et déportés en territoires occupés. Le cadre était simple : pas de jugement, un tampon, direction les camps ou les geôles de la Gestapo. Le parallèle est une fois de plus osé (si j’ose dire), mais concrètement quelle différence entre la schutzhaft et ce que propose madame Dati ? L’une comme l’autre permet donc de maintenir en prison sans aucune raison n’importe qui, et surtout selon le bon vouloir d’une autorité qui pourrait tout aussi bien faire un travail acceptable tout comme être le vassal d’un état totalitaire.

J’estime qu’il est plus que regrettable qu’un ministre de la justice, surtout dans un pays qui a un tel historique pour permettre de mettre en perspective les situations, puisse oser ressortir de tels épouvantails et les placer face à l’opinion publique. Même en n’ayant aucune compétence juridique qui que ce soit de lucide peut y voir une atteinte intolérable aux libertés individuelles ainsi qu’une régression dans le système carcéral qui n’est déjà pas bien glorieux. A tout prendre, j’aurais compris qu’on aborde la question de la gestion des détenus en fin de peine mais trop dangereux mentalement pour être décemment remis en liberté, mais pas légitimer la détention sans jugement avec une telle proposition ! Raisonnons de manière suffisamment large : il est très délicat de gérer les maladies mentales graves qui sont souvent incurables et menant à des actions terribles. Les pathologies sont souvent connues, mais les traitements sont et resteront encore longtemps au mieux légèrement efficace (pour contrôler le détenu) au pire expérimentaux et même inutiles. Le tueur en série, le violeur assassin, la mère tuant son enfant, ce n’est pas une vague discussion sur un divan et quelques calmants qui traiteront de telles catastrophes, et ce n’est pas non plus en classant les droits communs avec les détenus vraiment très dangereux qu’on améliorera la sécurité dans nos cités.
Je rappelle que la prison est évidemment une sanction mais se doit aussi d’être un système de réhabilitation des prisonniers. A l’origine une prison avait pour but de maintenir dans ses murs les criminels dans un but de rééducation. Aujourd’hui la prison semble être vouée à fermer une porte blindée sur notre propre incurie, puis d’en jeter la clé le plus loin possible pour ne plus avoir à gérer ces êtres humains. A moins de vouloir se faire bourreau et donc cautionner la peine de mort (avec les risques que cela engendre), j’avertis donc solennellement toute personne tentée par la schutzhaft que celui qui la vote pourrait en être victime demain. Et oui, toi électeur qui le lundi aura voté pour, le mardi mis en prison pour vol de pain, vendredi la schutzhaft fera de toi un prisonnier à vie… pense y !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Certes, à entendre les actualités sur ce texte et à lire le commentaire de la Terreur de nos consciences (JeFaisPeurALaFoule); comment ne pas penser au Procès de Kafka? Pour ceux qui ne l'ont pas lu, l'auteur raconte l'arrestation d'un quidam à qui on donne peu de temps pour prouver son innocence. Innocence envers quel crime? Qu'importe! Kafka raconte avec son humour particulier comment ce quidam retrace son existence et comment la défendre, puisque l'enjeu est le rique de la perdre. Làs, pour ce pauvre, il est condamné par ses juges.
Evidemment, la question est la suivante: était-il coupable et devait-il être condamné? La majorité des gens dira que non et que cela est fort injuste. En fait, si, il est coupable. Coupable, impardonnable, en tant que citoyen d'avoir laissé s'instaurer un système permettant de condamner un innocent.
Et voilà que l'actualité nous rappelle à l'ordre. Il est certain que les victimes ont le droit à notre compassion et au respect. Il est vrai que le problème des criminels sexuels et récidivistes est grand et problématique quant à leur sortie. Mais! Mais il me semble comme cela est d'ailleurs annoté, par maints commentateurs, que le problème des récidivistes doit être traité dès leur arrivée en détention. Ou, au moins, présomption d'innocence oblige, dès leur condamnation. Or, s'il est dit que la prison est un moyen de protéger la société des délinquants; il nous est dit aujourd'hui que cette même prison est d'une incompétence tellement notoire que rien ne peut être fait pour sauver les déviants d'eux-mêmes pendant leur détention (donc, par prolongement, la société) et qu'il faut d'autres structures pour les maintenir hors d'état de nuire. Voire, hors d'Etat! Si tel est le cas... Je parle de l'incompétence de la prison et de l'Administration Pénitentiaire par derrière, cela nous amène à considérer le problème autrement. Avant de recondamner, à une peine sans jugement, un détenu, puisque la société est trop lâche de le condamner à perpétuité; ne conviendrait-il pas mieux de se pencher sur les moyens que l'on veut mettre dans les prisons et l'univers carcéral en général, ainsi que sur les compétences de ses personnels?
Que les gardiens restent des surveillants et s'occupent de sécurité. Mais que les pointeurs (violeurs et autres braqueurs de fourrure) ne soient pas utilisés comme balance par l'AP, en vertu d'une protection de la dite administration envers leur personne, que le statut de pointeur désigne aux autres détenus comme bouc-émissaire d'une violence mal contenue. Au même titre que les toxicos qui rendent ce même genre de service en échange d'un "traitement" médical de faveur, leur permettant de recevoir la fiole, pour nourrir leur organisme des produits qui leur font défaut.
Mais que les services médicaux des prisons aient accès à une vraie médecine. Avec la liberté des personnels à agir comme un personnel médical indépendant.
Que les psychologues et les psychiatres soient, certes, plus nombreux, mais aussi plus intéressés par leur boulot, que par la rénumération. Voir pour toutes ces pratiques les rapports de l'OIP.
Encore une fois, ceci va être traité en apparence dans les conséquences et non par les causes du problème. Un accusé pour amnistier nos consciences. Un coupable à perpétuité pour notre crime éternel d'irresponsabilité fainéante et incivile.
On m'objectera certainement que les familles des victimes ont droit à ce genre de "rassurance"... Non, les familles des victimes avaient surtout le droit de ne pas être des familles de victimes. De ne pas perdre un membre de leur sang, de ne pas voir une de leurs filles ou de leurs femmes meurtrie à vie. De ne pas attendre que l'on leur apprenne la mort de leur enfant. Là est leur droit. Mais ce n'est pas cela que l'on offre à ces familles. Pire, c'est une preuve d'irrespect supplémentaire que l'on leur offre en pature.
Et que dire alors si un homme est condamné à tort? Pour cacher l'erreur judiciaire, on le mettra dans le sas de non-retour? Et le vrai coupable pourra courrir à loisir? C'est déjà arrivé, non? C'est d'ailleurs aussi pour cela que cette loi est possible.
Aussi, je me pose la question. Qui cette loi doit-elle réellement protéger? La société? Non. Les victimes passées? Elles le resteront à vie désormais? Le système judiciaire? En partie, oui, je le pense. L'affaire d'Outreau a laissé des traces. Le système carcéral? Impossible à réformer. Ou bien, en dépit de toute humanité, le confort pseudo-moral et bien pensant des Français qui pourront continuer à se dire: "Bah, il y a des lois et c'est comme ça... Enculé de pédophiles, z'ont ce qu'ils méritent!..."?
Des lois, il y en a déjà. Et, elles n'ont rien changé. Si peu protégé.
Cette loi n'est pas une protection sûre. Elle est le contraire: l'aveu d'une impuissance de l'Etat à protéger ses citoyens.
Et comme le dit le propriétaire de ces lieux, cette loi sera une porte ouverte à des dérives. Cela peut faire sourire à le lire ainsi, avec ses histoires de lettres cachetées. Mais, souvenez-vous, braves gens, que la France, il y a peu encore avait des prisonniers politiques, retenus dans les geôles républicaines sans jugement! Et lorsque la loi a interdit le statut de prisonnier politique, nombre de ces détenus furent passés sous le coup du droit commun, sans justification.
Les dérives sont toujours possibles dès lors que des Administrations ne sont pas contrôlables. Demandez aux avocats de vous expliquer les trois S.
Merci encore à JeFaisPeurALaFoule d'avoir réagi avec la vertu de la Justice et non le vice de la mode à penser.

Anonyme a dit…

Si l'on désire vivre dans un monde qui respecte la liberté, alors on a pas le choix, on ne peut accepter que quelqu'un soit retenu prisonnier sans avoir été jugé et pu se défendre ... il y a un moment évidement ou se défendre coute de l'argent et là, la liberté en prend un sacré coup ... mais c'est sur qu'à la base il n'y a pas de liberté dans un monde ou l'on peut emprisonner quelqu'un sans tribunal, juge, jugement, procureur et défense ... çà c'est sur ... et çà me fait tres peur car un tel monde est arbitraire.

Les entités bienveillantes qui veulent regler des vrais problemes par le biais de l'injustice abusent sur l'avenir ... seront-elles toujours bienveillantes ? Et les malveillants qui guettent de telles failles dans le système démocratique ne seront-ils pas, d'une maniere ou d'une autre, un jour au pouvoir ? il y en a forcément, des malveillants qui ont des postes clés et qui vont abuser ... c'est comme çà ...

Alors non ! on ne peut pas accepter çà ... qu'on puisse emprisonner quelqu'un sans jugement et ni pouvoir se defendre ...

La réalité c'est qu'il y a un travail enorme a entreprendre pour continuer d'améliorer la vie démocratique et tout ce qui va avec comme le système pénitenciere etc etc
Par exemple dans le cas difficile d'un tueur fou à un moment donné, pourquoi ne pas soumettre l'éventuelle remise en liberté entre les mains d'un deuxieme jugement ? apres que le temps prévu d'emprisonnement soit passé ? Parce qu'on ne peut juger que des faits passés ? hum ... c'est un casse tête ...
Un enorme travail de réflexion sans doute !
Cà n'est pas un travail à court terme ... mais un travail de fond ... pour les générations futures ...

La réalité c'est que ceux qui veulent faire voter ces lois qui par nature sont contre la liberté ont des interêts a court terme et qu'ils sont prêts a jouer avec le feu (détruire une liberté) pour avoir des resultats rapides en fournissant un travail d'un niveau moral et qualitatif tres douteux.

Plus je vieillis et plus je trouve cette maxime adaptée a de tels cas: "On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre"