26 décembre 2007

Ces objets maudits

Durant des siècles nous nous sommes passés de tout un tas d’outils accessoires et gadgets qui, au fur et à mesure du temps, nous sont devenus pour ainsi dire indispensables. Quoi qu’on en dise, l’humanité s’est peu à peu muée d’une peuplade primitive satisfaite de la météo et des impondérables tels que la mort, le cancer ou les accidents de rhinocéros à un groupe de bipèdes incapables de faire autrement que de remplacer l’évidence par l’inconsistance d’objets inertes et cependant semblant posséder une vie propre.

Dès la naissance l’inanimé s’impose à la marmaille comme s’imposerait l’ivresse à l’adulte dénué de raison. Un bazar pour aider le petit dernier à faire ses premiers pas, le jouet sonore et intolérable de la gamine, nous mettons tout en œuvre pour que notre chère descendance soit assujettie au règne de l’objet. Pourtant, est-il vraiment indispensable de coller le marmot derrière l’espèce de « chose » informe et bariolée à roulettes pour qu’il se tienne droit ? La nature ne s’est-elle pas chargée de nous transmettre la station debout ? Bon, bien sûr, cela évite le contact chaleureux des bras lassés du père épuisé, mais franchement, si c’est pour que le jouet devienne un papa de substitution autant se passer de la familiarité qui est nôtre avec nos rejetons !
Certes, les jouets dits éducatifs apportent un certain nombre de clés fort utiles comme « fous pas les pattes dans ce machin ou tu vas découvrir que dessiner avec quatre doigts c’est pas évident », mais était-ils nécessaire de sonoriser ces horreurs ? Je vois d’ici les parents acquiesçant avec horreur et dépit face au souvenir douloureux du joli jouet qui s’avère être le cauchemar des nuits sans sommeil. Le « bip bip » de la peluche qui parle-pète-marche-vous engueule mériterait de coller à la question son créateur, et que dire de l’ahuri qui a supposé qu’en insérant un barrissement informe dans une poupée immonde pourrait représenter les pleurs d’une enfant ? Il y a des baffes qui se perdent, et même des coups de bâtons sur les doigts !

Lorsque l’on grandit on s’asservit l’esprit et les mains à des choses soi-disant plus concrètes comme les jeux vidéo… mauvais exemple ! Ne mettez JAMAIS de son sur les jeux dits éducatifs, et surtout pas dans certains jeux tout court, vous apprendriez alors à vos dépends et à votre corps défendant les phrases et bruitages caractéristiques des différents programmes. Je suis intimement convaincu que ces saletés sont conçues pour pratiquer des lobotomies sans anesthésie générale, et qu’au surplus elles favorisent l’imbécillité. Et puis, les objets deviennent pervers : ils tombent en panne au mauvais moment, l’ado râlant contre le plantage de sa machine au moment d’une victoire chèrement acquise sur ses études, l’adulte souffrant des geignements d’horreur de cette progéniture plus passionnée par l’écran que par les livres.
Comme l’aurait dit Murphy, il existe une constante en ce bas monde : tout objet indispensable se trouver obligatoirement en panne au plus mauvais moment. En tant qu’enfant ou adolescent, on laisse le soin aux adultes de résoudre les insolubles équations existentielles concernant le téléphone, le four ou le chauffage central. Charge à eux d’en prendre soin et d’en subir bien entendu tous les caprices les plus improbables…

C’est à ce moment là que commence le vrai paradoxe de l’objet : une fois adulte on se croit enfin libres de choisir, de ne plus subir le diktat intolérable des accessoires… Erreur ! Le téléphone, ce maudit truc conçu pour vous pourrir la vie, n’est-ce pas une invention satanique ? En regardant l’heure ou le lieu on peut déjà avoir une idée du qui et du pourquoi. Jamais vous n’aurez un appel en pleine nuit pour une bonne nouvelle, encore que certains pourraient affirmer qu’une naissance en est une… Bref, s’il fait nuit c’est signe d’emmerdes ou de factures à venir, si c’est dans la journée c’est généralement pour l’hypocrite « tu vas bien » souvent suivi d’un « on se fait une bouffe ? » qui tacitement pourrait sous-entendre une note salée pour votre pomme. Toujours est-il qu’on ne peut malheureusement pas s’isoler sous peine de recevoir des appels angoissés des proches qui bizarrement se mettront à vous joindre au moment le plus inadapté. Loi de l’emmerdement maximum je suppose…
Autre chose d’insupportable : la télécommande. Ah, l’idée de vicelard que voilà ! Supposée vous faciliter la vie, ce sont toujours les boutons vitaux qui finissent par ne plus réagir, ceci vous imposant de vous lever alors que l’essence même de la télécommande est de vous permettre de rester végétatif dans le canapé. Il y a ceux qui poussent la cruauté jusqu’à rendre impossible certaines manipulations sans le graal de plastique ! Ceux-là, ils mériteraient l’électrocution et la vivisection ! Pensez-vous que je plaisante ? Tentez donc de régler autre chose que le volume et de changer de chaînes sans votre sésame sombre… vous m’en direz des nouvelles !

Je suis certain que bon nombre de designers se sont régalés en songeant à toutes les vacheries que pourraient faire leurs produits. La chaine hifi qui d’un coup se met à tout afficher en chinois, le four à minuterie qui ne minute plus qu’en journées pleines, le réveil matin qui décrète que l’heure de Moscou est plus appropriée que la vôtre, ou pire encore se met à compter 37,3 heures par jour… ces engins sont dotés d’une vie propre ! J’ai ouï-dire qu’il existe des voitures capables de sélectionner elles-mêmes leur vitesse, au point d’en faire circuler certaines à des vitesses prohibées, mais là cela reste de l’ordre de l’excuse bidon d’un automobiliste sans scrupule, mais là on s’éloigne du sujet.
Certains objets sont donc dotés d’une fonction « je vous ferai chier jusqu’au bout ! » digne des plus grands moments de burlesques du cinéma de Chaplin : l’arroseur automatique qui transforme le jardin en parc aquatique, l’alarme de la voiture tonnant un ave maria à trois heures du matin, au grand drame du voisinage, et très subtil la carte de crédit qui se dit « muette » quand le caddie s’avère être plein de victuailles. Avouez qu’il y a de quoi vouloir vivre en autarcie, reprendre la méditation… et surtout voir des touristes passant vous photographier, vous et le panneau mentionnant « Ermite anti technologie, ne pas lui jeter autre chose que de la nourriture ».

Bon, ça y est, ma messagerie, non c’est le fax ? non le portable.. ça va coup…

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