10 septembre 2007

Le grand cauchemar

Si l’enfance est une chance, c’est aussi une des vacheries les plus cruelles pour les adultes, car d’une certaine manière l’enfant a le don de cumuler les mandats : non content de se croire le centre du monde, il s’octroie également le droit de taper sur les nerfs de ses parents et de l’entourage proche. Tout le jeu est de réussir à exaspérer sans pour autant risquer la sanction finale qui peut être la vague claque ou bien l’interdiction pure et simple d’un loisir désiré. Mais pourtant, en soi, l’enfant ne peut pas être traité comme une arme offensive puisqu’il n’est techniquement pas apte à exploser, s’embraser ou détruire physiquement quoi que ce soit… en dehors du vase de la grand-mère ou la vitre du voisin acariâtre.

Bref, c’est médire que croire qu’un gosse est foncièrement méchant, sauf pendant quelques périodes restreintes qui se concentrent généralement aux alentours de la rentrée scolaire et les semaines précédant Noël. Quand on y songe, ces deux moments sont en soi des jalons terrifiants pour tous les parents de notre planète car ils représentent tout ce qu’on peut haïr dans notre système consumériste : les achats en masse, les dépenses, les cohues et les crises de nerfs lors du choix cornélien d’un produit. Observez donc les rayonnages dégorgeant de marchandises, surveillez un peu les mines décomposées de ces pauvres erres qui souffrent le martyr sous les cris stridents du morpion surexcité à l’idée d’avoir LE cahier estampillé de son héros préféré ou LA trousse d’une marque quelconque. Je les plains, car comment trouver un argument massue pour calmer les ardeurs d’un enfant quand il s’agit de le brider dans ses choix ? On peut avancer l’argent, nerf de la guerre aux prix, mais comment ce foutu mioche pourrait-il saisir l’intérêt flagrant pour nous adultes de préserver son assiette au détriment de sa dégaine ?

Le travail de fourmi des rentrées est hallucinant car chaque professeur ou maîtresse trouve le produit à acheter que forcément nul fournisseur ne sera foutu de vous mettre sur un étalage. Qui n’a pas craqué devant l’incompréhensible concept du « cahier à spirales grand format 192 pages petits carreaux papier 80 grammes couverture rigide » ? Et pourquoi pas ajouter la marque et le code référence, ne serait-ce techniquement pas plus simple ? Mais non, faisons jouer la concurrence et les neurones des parents au passage, lâchons les dans la jungle papetière avec pour seule aide cette référence absconse. Mais ce n’est qu’un début ! Prenez la suite, on touche au sublime : « effaceur d’encre » et « stylo plume à encre bleue effaçable », en lieu et place d’une bonne gomme et d’un crayon ou au pire un critérium. De quoi craquer quand on voit ce que donne le dit « effaceur » qui de nettoyeur devient outil de torture de copies raturées.

Ah, l’extase des lyrismes chimiques qu’emploient nos éducateurs, cette poésie dans la sélection des marchandises telles que les colles et les correcteurs. Quelle idée de mettre entre les mains des enfants un produit aussi cruel que le Tipp-ex ? Cette saleté blanche, qui, au lieu de s’étaler correctement devient plâtre écrasé à la truelle, qui forme de jolies couches d’enduit sur les cahiers, qui tache au possible et qui sent aussi bon qu’un bidon de solvant nocif… Sans rire, à quoi bon leur demander de faire propre quand on leur dit de prendre des trucs aussi infâmes ? Et la colle, parlons en de cette satanée colle qui ne doit ni couler, ni coller les doigts, ni coller instantanément, qui ne doit pas être en tube, qui doit permettre de coller n’importe quoi et qui pardessus toutes les vertus, doit impérativement tenir dans la fameuse trousse ! Le bâtonnet UHU ? Trop classique répondra le gosse agaçant. Le pot Cléopâtre ? Ah non ils ont arrêtés la fabrication. Bon ! Alors passons à cette marque supermarché ? NON ! Hurle alors le bambin qu’on a envie d’étrangler…

Dans tout ça, l’enfant lui se pose en juge avec ses critères obscurs de style, de marque connue qui « marche mieux que l’autre », et surtout les symboles ostentatoires d’un certain luxe scolaire que sont les cahiers haut de gamme, les classeurs marqués d’un logo oublié dans quelques mois et les sacs à dos qui se doivent d’être d’un fabricant de vêtements de sport. Et là, une fois le caddie bien plein, les poches frémissent, les mines se décomposent à l’arrivée en caisse. La queue, interminable, les brailleurs s’accordant aux parents râleurs pour nous composer un opéra cacophonique, et au bout de la chaîne le ronronnement stressant du tapis roulant accompagné de l’édition finale d’une douloureuse tenant plus de l’Everest que du volcan d’Auvergne.

Et c’est là que le petit con trouve le moyen de reprendre sa liste, la détailler ligne à ligne et de faire un scandale pour la foutue équerre à 45° qui n’était plus en rayon et qu’on lui a dit qu’on en trouverait une demain à la papeterie du coin. C’est généralement l’occasion de rappeler à ce sale gosse que les baffes sont sources de sérénité familiale et signes de la venue prochaine d’un sommeil réparateur…

Et dire… oui et dire que j’en ai fait voir à mes parents de la même manière. J’ai honte…

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