20 juin 2007

Sens de l’humour

Le plaisir que j’éprouve à écrire ces critiques et vertes mais pourtant vaines provocations quasi quotidiennes est l’occasion d’exercer quelque chose de difficile à maîtriser, l’art de faire rire, ou du moins faire sourire un lecteur. En soi l’on pourrait croire qu’il est fort aisé d’attirer la réaction des zygomatiques sur ses propos mais il n’en est rien tant le drôle a ceci de confondant qu’il doit être fort contrôlé pour créer l’hilarité. C’est tout le paradoxe, le rire est plus difficile que les larmes, il suffit pour s’en convaincre de placer une situation somme toute très simple : un chien dont le nom nous indiffère est assis au milieu d’une route vide de toute circulation, avec comme fond un paysage triste comme un désert. Le chien a la tête baissée : là il attire la compassion avec son air de pauvre bête abandonnée et les plus sentimentaux iront jusqu’à verser la petite larme de charité. Faites passer à fond les gamelles un semi qui percute alors de plein fouet la bête et demandez vous : allez vous rire du malheur d’autrui ou vous offusquer d’une telle cruauté gratuite ?

Il y a deux sortes d’humour : celui qui permet de rire de soi et celui qui rit au dépend de toute autre chose que soi. Pour le second point personne ne doutera que nous en sommes pour ainsi dire tous capables : depuis l’handicapé moteur en passant par le voisin imbécile à l’épouse taillée comme un pied de vigne, ou les politiques caricaturés, se moquer, jouer sur les faiblesses et tares d’autrui ne représente pas vraiment de défi ; tout au plus cela nécessitera un rien d’imagination pour renouveler les genres éculés et trop entendus comme les plaisanteries racistes ou antisémites, les inusables « monsieur madame » en pleine désuétudes ou pour finir dans le reliquaire des blagues de quatre sous les « Toto » dont la mémoire collective a déjà supprimée l’origine (que je ne connais pas non plus). Il est clair que cela s’avère presque trop facile et à la limite lâche d’agresser le faible et le mal loti, alors que s’attaquer au fort, au puissant est fait d’un autre acabit ! Pourquoi parler des forts alors qu’il s’agit dans un second temps de parler de soi ? Parce qu’il faut une certaine force de caractère pour être capable de rire de soi en toute sincérité, et surtout supporter l’humour des autres à ses dépends. L’art d’offrir son corps à l’humour n’est pas une flagellation masochiste mais une sorte de revendication de son état de « con comme les autres ». Ainsi, par autosatisfaction autant que par courage celui qui sait rire de lui-même se classer parmi les forts et non parmi les cibles potentielles.

Qu’est-ce que le sens de l’humour ? Est-ce accepter de rire de tout ? En toute franchise je pense que l’on peut rire de tout, que ce soit de la maladie, de l’infirmité, de la guerre et j’en passe car, quelque part, si l’humour existe c’est qu’il compense notre passion pour l’horreur quotidienne et tristement ordinaire. Plus d’une fois j’ai constaté le rire aux lèvres de ceux qui plaisantaient sur la famine éthiopienne tandis qu’ils se seraient offusqués que l’on se moque du beauf qui met de la moquette sur le volant (forcément l’un d’entre eux l’aura immanquablement fait en croyant que c’est une touche classieuse, enfin passons). A cet éclairage outrageant on peut donc sans conteste affirmer que rire de tout oui, mais c’est rire de tout ce qui ne nous touche pas. Par nature l’on rira tant que la tristesse du sujet ne nous sera pas jetée en pleine figure comme un pavé à Gaza, et autrement l’on demandera au plaisantin de gentiment éviter le sujet. Quelle pudeur, quel besoin de paix et de ne pas être indisposé par l’humour… alors qu’il avait ri trente secondes avant du martyr des détenus d’Auschwitz. Encore un qui saura rire des autres mais pas de lui-même.

En plus de devoir être prudent sur les sujets, il se peut que l’auditoire ne se prête guère à des démonstrations de drôlerie politique, religieuse ou le tout ensemble. Diffamer quelque religion que ce soit c’est risquer à coup sûr l’injure ou du moins le mépris lourd de menaces, plaisanter sur le cancer et on vous balancera de grandes vérités sur le respect des malades, respect dont personne ne saurait faire preuve pour les femmes enceintes ou les gens en béquilles dans les transports en commun soit dit en passant. De fait, rire avec tout le monde est impossible, et heureusement : que resterait-il aux vendeurs d’armes si tout le monde se marrait avec tout le monde ? Un marché sans acheteur pardi !

J’ignore si je fais réellement rire, éventuellement sourire, mais de toute manière je suis content de faire le con et d’en rajouter à chaque fois que ce n’est pas nécessaire. C’est ma cure de haine que je préfère mettre ici en terre pour toujours que de la ruminer pour un jour la vomir sur le premier crétin venant m’astiquer les tympans de ses certitudes puériles… Donc merci à vous de jouer les thérapeutes attentifs à mes simagrées, et ce gratuitement pardessus le marché !

4 commentaires:

Anonyme a dit…

"On peut rire de tout mais pas avec n'importe qui"

Pierre Desproges

JeFaisPeurALaFoule a dit…

Je confirme la citation, celle-ci est extraite du tribunal des flagrants délires où Le Pen était en accusation... de fait j'ai préféré laisser la mémoire de mes lecteurs jouer à plein sur ce terrain.

Anonyme a dit…

Vous pouvez rire de tout... mais à vos dépends.

John Kennedy

JeFaisPeurALaFoule a dit…

Comme quoi même les plus sérieux peuvent rire des autres...