22 juin 2007

Notice de conduite pour être un bon dictateur

Comme pour tout rôle éminemment important dans un gouvernement, le fait de devoir représenter un état mais aussi le diriger doit respecter un certain nombre de règles particulièrement simples au demeurant mais qui d’un point de vue purement technique nécessitent certains aménagements tant avec la conscience qu’avec les lois en vigueur. Je recommande donc un certain nombre de préalables pour que le dictateur dont il est question puisse avoir les « mains libres » et ainsi mener à la réussite sa gouvernance.

Premier point essentiel : les fondamentaux avant d’agir.
Tout dictateur doit se prémunir contre la potentielle illégalité de ses actes et décisions en expurgeant le plus vite possible le code pénal en vigueur. Dans cette optique il sera judicieux de s’adjuger le droit de réformer une loi sans aucun accord, car toute phase de validation entraînerait des retards voire des refus intolérables. Par conséquent, s’entourer de juristes fidèles et surtout zélés saura être un avantage indéniable dans cette phase de préparation.
Le second aspect à ne jamais négliger dans cette période est celui de ne pas se mettre à dos l’ancienne garde, celle qui se prétend gardienne des acquis et protectrice du droit commun. Faites preuve de pragmatisme en la flattant et en l’assurant dans son rôle d’applicatrice de vos réformes, ceci surtout concernant le droit pénal. Les lois, ce sera votre entourage qui en aura la primeur, pas les fonctionnaires, mais ce seront les fonctionnaires qui seront en première ligne pour les expliquer et les appliquer.
La force d’un état c’est autant ses actions que ses symboles : soignez l’image de vos étiquettes, si nécessaire créez une imagerie représentative de vos opinions. Evitez par contre la fanfreluche et le clinquant, c’est au contraire la prestance et la crédibilité qui vous donnera le pouvoir. La meilleure des armées est celle qui a l’uniforme le plus discret. Par opposition par contre il sera vital de récompenser les personnes moteur de votre hégémonie en leur adjugeant des titres, des décorations et des actions d’éclat afin d’en flatter l’ego. Des cérémonies de remise de médailles offrira par exemple une fierté légitime à tout ouvrier se dépassant au travail, sans pour autant lui apporter quoi que ce soit de concret. Donc, flatter l’orgueil avant le portefeuille.
L’un des paradoxes d’une dictature est qu’il y aura une part non négligeable de soutiens imprévus, ceci essentiellement dans une population qu’il sera judicieux de former, informer et éduquer dans la droite ligne de votre politique. Les écrits, le son et l’image seront des vecteurs essentiels de votre propagande mais c’est surtout le bouche à oreille qui fera un travail de fourmi. La plus probante des méthodes est de faire participer le plus grand nombre soit à des défilés et commémorations qui ont pour désavantage une improductivité notoire et un coût démesuré ou bien de lancer des projets de grande ampleur afin que chacun se sente concerné par les travaux de votre état. Bon nombre de chantiers peuvent s’offrir à vous : amélioration des infrastructures qui auront des effets bénéfiques non seulement sur l’économie mais aussi sur la mobilité de vos troupes en cas de crise majeure, développement de zones territoriales délaissées par repeuplement ou modernisation des moyens de production et enfin l’éventuel projet militaire d’envergure comme la production d’une aviation moderne, qui à elle seule sera une fierté nationale.
Le dernier aspect fondateur de votre pouvoir sera d’affirmer votre présence en jouant tant de la force tranquille de votre image en bon paternaliste que de l’aspect répressif contre les déviants. Petite précision : il est incongru de massacrer les déviants, la violence engendre la violence et les populations ont une culture revancharde quoi qu’on en pense. De fait, l’essentiel est au contraire de les isoler ou de leur offrir le quignon de pain qui saura les satisfaire alors qu’ils auraient pu obtenir de la viande avec un peu de bon sens. Il est amusant de voir qu’un révolté fléchira aisément lorsqu’on lui accordera quasiment rien alors qu’un raisonné patient sera toujours plus exigeant. Surveillez donc plus ceux qui pensent bien que ceux qui agissent mal.

Second point essentiel : la pérennité de votre gouvernance.
Assurez vous d’avoir un Ennemi. L’Ennemi est le concept vital d’une dictature : il sera soit une minorité soit un voisin belliqueux (dans les faits ou non peu importe) de manière à orienter le regard vers cette cible facile et surtout haïssable. N’éliminez pas bêtement l’ennemi, faites le détester, isoler et surtout le rendre responsable de vos maux les plus douloureux. C’est à ce prix seulement que vous aurez une large majorité de soutiens. Petit conseil : puisez dans l’imaginaire populaire pour trouver l’ennemi commun à tous ou presque afin d’être en parfaite osmose avec la masse que vous dirigerez.
Comme pour tout pouvoir il existe et existera toujours une vague contestation qui saurait prendre de l’ampleur si l’on n’y prend pas garde. Oubliez tout de la répression systématique, elle exige un coût humain et matériel souvent bien trop démesuré par rapport à la crise réellement en cours ; au surplus de ce fait les réactions telles que celles de la révolution pacifique (non violence et arrestations de masses inutiles) sauront gripper les rouages d’une police pourtant forte de lois et d’équipements favorables. Désamorcez sera le maître mot et pour cela pas de secret, seules deux méthodes permettent d’obtenir sans frais réellement exorbitant un gain notoire : la peur ou l’appât. La peur vous sera fidèle et simple à mettre en œuvre mais quasiment impossible à disloquer par la suite. Pour se faire, il s’agira de s’engager dans la création d’une troupe réduite mais démesurément libre de ses actes de manière à créer une atmosphère de suspicion ; ajouter un peu de propagande pardessus en fomentant une terreur de l’ennemi de l’intérieur saura ajouter du crédit à ces équipes. Evitez par contre tout conflit d’intérêt entre cette police spéciale et les instances légales en créant une hiérarchie de priorité afin que tous connaissent leurs rôles respectifs. La méthodologie de l’appât sera de jongler entre les intérêts des uns et les revendications des autres en tentant de trouver une sortie qui à vous seule sera favorable. Accordez quelques libertés supplémentaires et non pénalisantes vous débarrassera des étudiants et des ouvriers, tandis que le verrouillage des syndicats en y introduisant une validation supérieure de l’état contrôlera non seulement les ouvriers mais surtout un patronnant qui vous sera reconnaissant à chaque petite ouverture. Pour l’exemple ne censurez pas la musique, c’est un vecteur de militantisme certes mais c’est surtout un loisir essentiel. Verrouiller la musique c’est préparer le terrain au marché noir et à l’idéologie déviante véhiculée par des morceaux venus de l’extérieur. En interdisant que l’intolérable (c'est-à-dire pas grand-chose finalement) vous obtiendrez un statu quo à peu de frais.
Un autre point vital pour rester en place est de conserver un fonctionnement économique et surtout administratif efficace : ce n’est pas en réformant sans compétence le système financier que vous obtiendrez des résultats probants. Laissez le soin de gérer l’économie à des experts choisis qui vous ménageront des portes dérobées pour obtenir sans trop de difficultés des devises et des biens pour l’état. Certains pays nécessiteront sûrement des réformes massives passant par la modernisation des outils de production ainsi que la disparition à terme des petits commerces de subsistance. Financez la progression économique en échange d’un volontariat pour des actions majeures. Si le besoin s’en fait sentir, attirez les investisseurs sur la foi de la stabilité de votre état et sur sa non corruption. Evitez que vos proches ou vous-même s’enrichissent sur le dos du pays, ne prenez que des gens déterminés à être des serviteurs de l’état et non de leurs propres causes. Ne négligez pas cette image car elle pourrait vous être fatale.

Dernier point essentiel : la fermeté.
Tant toute décision difficile seule la fermeté fera de vous l’idole des faibles et le craint des forts. Ne fléchissez pas, offrez votre image et votre cœur en gage d’absolue foi en vos convictions politiques et sociales. Un peuple sans tête n’est pas un peuple et un dictateur sans peuple n’est plus un dictateur.

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