16 mars 2007

Le chiffre et nous

J’aime les chiffres. J’adore ces petits symboles dessinés lentement par les doigts malhabiles de nos chers bambins en phase de socialisation qui s’alignent à la parade dans des cahiers par ailleurs découpés et morcelés par leur fougue créatrice. C’est impressionnant ce que les chiffres peuvent rendre des choses inconsistantes concrètes et compréhensibles. Aujourd’hui, je dirais même qu’il est impossible de se départir des chiffres tant toute chose pourtant potentiellement simple se mue en rituel cabalistique de la formulation numérotée de nos désirs les plus évidents.

Mais que fait-on pour mériter un tel outrage à nos neurones ? Sommes-nous des McGoohan prêts à hurler « je ne suis pas un numéro ! » ? Tout dépend du contexte (en deux mots s’il le faut pour certains mais là n’est pas encore le sujet à ce point de votre lecture) et des conditions. Prenons donc une troupe que nous appellerons infanterie, oui j’oubliais prenons de l’infanterie, les troupes d’état major sont comme les notices de produits électroménagers, ce sont les dernières choses qu’on consulte quand tout le reste a échoué, et surtout l’infanterie a le devoir de mourir dignement, dignité qu’un officier aura en versant se petite larme au coin de l’œil ridé de l’émotion feinte et contenue. Enfin trêve de digression, reprenons notre bataillon fringuant et fier de ses uniformes pimpants et amidonnés comme « qu’il dit le manuel du bon soldat ». Observons donc la troupe au repos ou au garde à vous : ils sont potentiellement un grand nombre, tous armés ce qui nous donnes une force potentielle n de combat. Une fois mise en situation de combat, reprenons notre loupe et scrutons soigneusement cette même armée : n sera alors divisé par le nombre de déserteurs, divisé à nouveau par le nombre de blessés et finalement tendra vers zéro quoi qu’il se passe sur le champ de bataille. Il est donc évident que d’un point de vue militaire le chiffre est un ennemi au moins aussi redoutable que l’Ennemi lui-même.

Si l’on s’attarde à l’efficacité réelle du chiffre, on ne peut lui refuser les félicitations en terme d’efficacité et de froideur que pas même le meilleur des scientifiques ne saurait égaler. Que ces colonnes emplies de suites numériques sont spectaculaires dans leur beauté d’implacable rapporteur des innommables horreurs humaines ! Qui ne saurait être ému à l’ouverture des livres de comptes d’un camp de concentration méticuleusement géré par des fonctionnaires zélés L’importance du chiffre tient alors forcément à l’enrichissement tant social qu’intellectuel du périmètre de nos besoins divers et variés, et la notion d’humanité n’a que peu de valeur en regard du résultat, surtout lorsqu’il est atteint. La félicité est donc atteinte grâce au potentiel extatique des chiffres et non pas grâce aux perspectives d’avenir ou de réussite qui elles ne sont pas aisément quantifiables.

Alors c’est donc ça le pouvoir potentiel du chiffre : nous réduire à un esclavage fondé non sur ce qui fait de nous des êtres différents c'est-à-dire la bêtise, l’imbécile entêtement à survivre envers et contre tout et la vanité qu’on éprouve à nous croire intelligents mais simplement sur la terrible logique, celle contre laquelle nul ne peut lutter ? Se sentir petit face à l’immensité des valeurs est quelque chose de commun à chacun de nous, et tant le nombre d’étoiles dans l’univers que le nombre de futurs cadavres l’absolu du chiffre est sans appel. Nous sommes donc réduits à des échelles, des quotients, des pourcentages, des statistiques, alors que la beauté, l’incroyable splendeur d’une forêt nordique prisonnière dans l’hiver du grand nord ou de toute autre miracle naturel ne saurait entrer en considération. Quelle pitié ! L’infamie du progrès passe donc par la corruption du beau par le concret…

Finalement, je ne me trouve pas plus prisonnier d’une suite numérique que tout autre humain traînant ses guêtres et son futur cancer en ce monde car au demeurant je n’ai de foi qu’en moi-même… et moi-même ça fait un ? SORS DE CE CORPS VAN DAMME !!!

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