08 janvier 2015

Ce que les gens pensent de l'islam en Europe

Comme souvent, je rebondis sur une brève de ce cher Timo (le hollandais volant).
la source chez Timo (le hollandais volant)
Ce que pensent les européens de l'islam, sur Forbes (en anglais)

Pour ceux qui seraient anglophobes, le graphique de chez Forbes présente le "ressenti favorable" de différents pays européens à l'égard des musulmans. Timo rebondit dessus en disant qu'il en est (je le cite)
Oh, c’est surprenant. Bien, mais surprenant.
Comme quoi, ce qu’on voit dans les médias est trompeur :o

En fait, en réfléchissant à l'historique de ces pays, ainsi qu'aux problématiques migratoires actuelles, je ne vois rien de surprenant. Bien entendu, quand on voit ces résultats après le carnage de chez Charlie, on peut être un rien rassuré, voire même "surpris", alors qu'au final, j'estime qu'il n'y a absolument rien d'étonnant.

Prenons ces différents pays et réfléchissons sur les uns et les autres, ceci en partant du plus bas, pour remonter vers les plus "favorables".
Italie
L'Italie n'était pas, initialement, ni un pays puissant d'un point de vue colonial, ni même une destination première pour de l'immigration. Entre une langue relativement peu parlée dans le monde, et le peu de présence de populations immigrées, force est de constater que l'islam n'a pas eu une implantation aussi importante qu'ailleurs. Il est également essentiel de se souvenir que le pays a un fort potentiel politique nationaliste (ligue du nord par exemple), ce qui amplifie, bien entendu, le sentiment de rejet à l'égard de cultures et de religions différentes. N'oublions pas enfin que l'Italie, c'est également le Vatican, ce qui ne fait qu'accentuer une forme de rejet, ou du moins de méfiance à l'égard des autres religions. Là, nous ne sommes pas dans le racisme ou la xénophobie, mais plus dans une forme de conservatisme craintif, où les populations locales voient les flux migratoires plus comme des invasions, que comme de potentiels enrichissements humains et culturels.
Il faut aussi noter le fait que l'Italie, de par ses lois plutôt laxistes, s'est vu devenir la porte involontaire aux migrants illégaux. Les dernières affaires de bateaux abandonnés, les centres de rétention saturés ne font qu'accentuer ce sentiment général que "l'islam ne sera pas bon pour nous".
La Pologne
Catholicisme conservateur, pays peu propice à l'immigration (économie relativement faible, potentiel salarial faible…), la Pologne n'est pas un pays qui pourrait accepter aisément une présence étrangère. Il y a également un historique fort de rejet des populations dites "différentes", ne serait-ce que par les mouvements migratoires de roms sur leur territoire. En conséquence, la Pologne, de par son histoire et sa situation, ne sera pas un pays favorable et conciliant avec l'islam.
La Grèce
Quand on est en conflit depuis des décennies avec un pays à majorité musulmane (Turquie) pour des questions territoriales, difficile de considérer que la Grèce pourrait être favorable aux musulmans… Cela se suffit à elle-même comme explication.
L'Espagne
Outre l'histoire (occupation longue du territoire par l'empire ottoman),
Correction (merci à celui qui a commenté mon article)
Historiquement, l'Espagne a connu une présence de l'islam sur son sol suite à plusieurs invasions(je vous invite à fouiner de ce côté, chose que je fais en ce moment même pour corriger nombre de mes convictions visiblement fausses), ce qui a laissé un "souvenir" fort (culturel et architectural). Cela aurait pu inciter à une plus forte tolérance (métissage historique), mais l'actualité, à travers les problèmes de migrations illégales (passage de Gibraltar par des clandestins), l'exploitation de salariés immigrés à bas coût, et des régions à fort potentiel identitaire (Pays Basque), rendent difficile de considérer que l'Espagne sera favorable à l'islam. Ajoutons également que l'attentat de Madrid en 2004 n'a rien arrangé. De ce fait, le ressentiment à l'égard de l'islam est bien ancré dans les cœurs, et n'est pas prêt à s'améliorer pour le moment.
L'Allemagne
Le pays a une forte identité nationale. Toutefois, la statistique serait à pondérer par une distinction entre la RFA et la RDA. Cette dichotomie serait utile à deux titres: la RFA a une population immigrée Turque non négligeable, tandis que la RDA a encore une forme d'exclusion qui tend à disparaître (héritage des années 70/70). De ce fait, il s'agit selon moi d'une moyenne qui serait à rectifier selon les régions. Il est à noter que des lands d'ex Allemagne de l'est restent assez sensibles aux partis politiques de droite "dure", pour ne pas dire extrême-droite, ce qui a une très probable influence sur les chiffres.
Il est également important de se souvenir que l'Allemagne n'est pas non plus un pays spécifiquement représentatif d'une nation permettant "facilement" une intégration étrangère. Il s'agit d'une problématique d'image, mais également de nationalisme assez fort, induisant nécessairement un résultat moins bon que la France.
La Grande-Bretagne
Pays dont l'histoire est clairement coloniale, avec un historique de migrations diverses et très variées, c'est un pays qui a été également très choqué par des attentats, et secoué par les problèmes liés à sa présence sur plusieurs théâtres d'opérations militaires (Irak, Afghanistan). Dorénavant, la population sera être quelque peu plus méfiante à l'égard de l'islam, avec le durcissement des règles d'immigration, l'émergence de partis conservateurs, mais aussi et surtout une baisse conséquente de la tolérance religieuse sur leur territoire. La tolérance du passé n'est donc plus autant d'actualité, et qui plus est ce n'est pas la situation mondiale qui va les inciter à reprendre une attitude conciliante. J'ajoute au surplus que la politique de "suiveur" de la Grande-Bretagne avec les USA ne peut que les pousser à se replier et à cautionner un durcissement dans leurs relations avec le monde musulman.
La France
Ah, la France… les gens oublient pas mal de choses finalement. Les médias montrent avec complaisance un côté raciste, voire même xénophobe, parce qu'il choque, parce qu'il stimule les oppositions, et surtout parce que la France a un potentiel xénophobe certain. Cependant, c'est occulter quelques faits simples: l'immigration musulmane n'est pas récente, et que l'islam, avec son statut de seconde religion de France, ne peut plus être nié et ce depuis au moins trois décennies. De plus, le "racisme" si souvent mis en exergue existe bien, mais il est plus lié non à l'islam, mais à l'image des jeunes de cité qui sont malheureusement pour majorité issus des minorités ethniques et religieuses. La conséquence est directe: une mauvaise intégration/assimilation peut mener à une radicalisation morale voire religieuse. Le creuset des extrémismes en France est systématiquement lié à une situation socio-économique gravement défavorable (chômage, exclusion, vie en HLM, faibles revenus, trafics pour subvenir à ses besoins, isolement…).

La France n'est pas à majorité raciste, mais elle est très identitaire. L'identité de la France a énormément changé en cinq décennies. Depuis le paysan qui voyait l'arabe comme un envahisseur, au citoyen d'aujourd'hui qui croise le même arabe sans s'en rendre compte, il y a eu énormément de changements. Du progrès? En quelque sorte, même si des clichés restent tenaces. La société française a changé, parce qu'elle est tenue d'affronter un quotidien surprenant: faire cohabiter des gens radicalement différents, avec des conceptions sociales, morales et culturelles très distinctes. Cela pose énormément de problèmes directs et indirects : enseignement de la langue, intégration dans les processus scolaires, isolement local avec un sentiment identitaire réveillé par des propos radicaux, volonté manifeste de retrouver des racines culturelles… Dans ces conditions, il y a énormément de défis à relever, comme ne serait-ce que de permettre à tous d'accéder au travail, d'en finir avec le rejet par la différence ethnique, et se débarrasser de ceux qui revendiquent une attitude radicalisée.
L'islam, comme n'importe quelle religion, n'est pas à traiter ni avec condescendance, ni avec méfiance. C'est ce qu'on en fait qui est la source première du problème. Le respect est essentiel, la tolérance pour les us et coutumes également, mais cela implique alors un comportement symétrique, à savoir accepter les coutumes et la culture locale, et surtout ne pas essayer d'imposer sa différence. Je vais prendre un exemple délicat et qui fait souvent bondir: je n'accepterai jamais le voile dans les administrations, car celles-ci sont laïques. De la même manière, je n'accepterai pas qu'une touriste refuse d'être voilée dans un pays musulman, sous prétexte qu'elle refuse de plier à cette coutume religieuse et culturelle. C'est de la symétrie de respect: on n'impose pas ce qu'on est, on apprend de l'autre et l'on s'adapte.

Dans ces conditions, je ne suis donc pas du tout surpris par les statistiques présentées par Forbes, je le suis plus par les gens qui réagissent avec étonnement. Chaque pays a son histoire, son passif, et il est naturel que chaque nation réagisse différemment. On peut évidemment rêver d'un 100% pour tous, or ceci est impossible, parce que l'islam a été politisé par quelques-uns, que l'islam a servi de prétexte et d'étendard pour quelques radicaux/manipulateurs d'opinion, et qu'au final on ne retient qu'une chose dans les médias poubelle: c'est l'islam qui est la cause, alors que ce sont les hommes qui tiennent l'arme dans la main. Je n'ai jamais lu quoi que ce soit pouvant m'inciter à dire que telle ou telle religion est mauvaise, en revanche les analyses faites par les hommes sont les vraies sources du danger et du rejet.

Pour finir, la France a des défis gigantesques à relever, tant parce que son histoire séculaire et sa politique de laïcité posent problème. Le premier défi, c'est de trouver un équilibre entre acceptation de la présence de l'islam, et le refus de voir cette religion s'imposer. Je vais simplifier le raisonnement: on ne finance techniquement plus l'église (si l'on omet les lois d'exception en alsace et en lorraine), mais l'on assure l'entretien de nombreux bâtiments religieux, parce qu'ils sont un pan de notre histoire que l'on se doit de préserver. A ce jour, la question est alors de tolérer ou non la présence d'édifices religieux comme des mosquées, et de voir à terme si l'état doit se mêler, ou non, de leur préservation. Ce débat, tant d'idée que de politique, sera à trancher de manière définitive, sous peine de voir perdurer les problèmes tels que les mosquées "des caves", où le radicalisme religieux peut être enseigné à des jeunes influençables.
Le second défi est de déterminer dans quelle mesure l'on peut avoir un double discours, à savoir une tolérance culturelle forte (France terre d'accueil), tout en continuant à maintenir des attitudes étranges en politique extérieure. Lybie, Iran, Irak, Qatar, Afghanistan, ces pays sont concernés par notre présence soit militaire, soit par notre implication politique à l'ONU. Le poids de la France pèse lourd dans les décisions, et agir avec ambiguïté ne fait que compliquer les choses… et je n'aborde même pas le silence gêné des gouvernements successifs face à l'attitude d'Israël à l'encontre de la Palestine.
Le troisième défi sera de voir sur le long terme. L'augmentation de la part de la population pratiquant l'islam, face à une baisse significative des pratiquants des autres religions "historiques" ne pourra que radicaliser les membres de ces dernières. Le signal a été très fort lors des manifestations contre le mariage gay, et je crains que ces regroupements ne réapparaissent dans la rue contre l'islam. Je prends un exemple: imaginons une demande de construction d'une mosquée, et que l'on donne le permis de construire. M'est avis que de telles manifestations sont susceptibles d'apparaître, avec des conservateurs battant le pavé et dénonçant l'islam comme un envahisseur, et non pas comme une religion établie et respectée. Cela pourrait transformer des débats difficiles en rixes, si ce n'est plus encore. J'ai une méfiance terrible pour tout ce qui se radicalise, qu'il ait une croix ou un croissant de lune sur son oriflamme.
Le dernier défi sera, selon moi, l'attitude des politiques. Il est notoire que la continuité de politique n'est pas le jeu naturel de la démocratie à la française. Nous aimons faire basculer la balance, en jouant soit sur l'alternance aux présidentielles, soit en provoquant sciemment des situations de cohabitation forcée. Les trois décennies précédentes peuvent être décrites par: des élections présidentielles posées sur des personnages (Mitterrand, Chirac), de l'alternance pour ces deux présidents (avec pour côté ironique le fait que le second ait été premier ministre du précédent), puis des choix radicalisés suite à des situations politiques propices (FN au second tour, la chute du PS via Jospin et l'élection de Sarkozy), puis enfin une volonté d'alternance par dépit plus que par déterminisme (élection de Hollande pour refuser Sarkozy). Nous ne votons plus pour quelqu'un, mais contre son bilan/image. Si Hollande avait dissous l'assemblée, m'est avis que celle-ci aurait penchée de l'autre côté. Vous pensez que j'exagère? Alors observez qui est député européen (présence du FN), et qui est à la tête du sénat (UMP), tandis que l'assemblée est majoritairement de gauche. Nous n'avons donc pas de continuité, de stabilité politique longue permettant d'envisager des raisonnements au-delà des échéances présidentielles et législatives. C'est un tort terrible, car au lieu de penser sur des décennies, nos élus pensent sur des durées de mandat. La conséquence? L'incohérence des politiques sur l'immigration, l'absence de planification/réflexion pour gérer les cités, la scolarisation des enfants issus de l'immigration et j'en passe. Chaque élu qui passe ne fait que coller quelques briques de plus sur une cocotte-minute qui surchauffe, laissant le plat bouillant à son successeur, avec l'espoir que celui-ci ait le malheur d'ouvrir le tout.

La gestion de l'islam, sa compréhension et son acceptation ne sont pas des boites de pandore. Ce qui l'est, c'est de poser dans une autre boite tous les problèmes, puis d'en fermer le couvercle en espérant que rien n'explose. Ce n'est malheureusement pas une attitude acceptable. Nous ne pouvons fermer les yeux ni sur une jeunesse désœuvrée qui se tourne vers les extrêmes, ni pour autant considérer tous les membres d'une seule communauté comme étant tous représentés par quelques-uns. Il y a une urgence immédiate qui est de faire comprendre à tous qu'un pays, ce sont des droits et des devoirs: le droit d'opinion et de pratique religieuse, mais le devoir de tolérance et de civisme. Nous ne pouvons décemment pas tenir un discours ambigu, et encore moins faire preuve de laxisme tant sur un et l'autre de ces sujets. Il n'est en rien acceptable qu'une mosquée soit dégradée, pas plus qu'il soit acceptable qu'une mosquée puisse héberger des gens prônant la haine d'autrui. Ce propos est tout aussi valide si l'on remplace mosquée par tout autre lieu de culte ou de réunion.

La France est bâtie sur des fondations historiques anciennes que l'on se doit de préserver. Elle a choisi la voie la plus intelligente, celle de la laïcité afin que l'intégration de populations étrangère soit la plus simple et la plus tolérante possible. Nous ne faisons pas jurer sur une bible comme aux USA. Nous ne demandons pas la religion dans un CV. Nous considérons que chacun est libre de vivre et s'exprimer dans le respect d'autrui. La France d'aujourd'hui est une France complexe, riche de par ses différences, de par ses progrès sociaux et moraux. Je ne demande pas, j'exige que chaque Français soit à la hauteur des défis à venir: être un citoyen, ce n'est pas être un nationaliste. Etre un citoyen, c'est être patriote, et le patriotisme passe donc par la tolérance et le respect des institutions.
L'état se doit de réagir, mais d'une seule manière: en rappelant que les lois de la république ne peuvent ni être mises en doute, ni manipulées au bénéfice de quiconque. La France doit agir avec la fermeté et la dignité nécessaires pour lutter contre l'intolérance, le racisme, mais également contre la violence et le terrorisme. Il ne s'agira pas de créer un état policier sous prétexte de protéger les biens et les personnes, mais avant tout de remettre en avant que des lois existent, que celles-ci sont là pour protéger chaque citoyen, et qu'il sera tout mis en œuvre pour ne pas céder sur ces fondamentaux.

Enfin, je tiens à notifier à chaque personne pensant que la liberté d'expression permet de tout dire et tout faire que celle-ci est strictement encadrée, et est supposée protéger chacun de nous. Le racisme et la xénophobie n'ont pas être propagées sous le prétexte de droit d'exprimer une opinion. Charlie hebdo a été attaqué pour avoir osé critiquer, provoquer, voire même blessé et insulté. La seule voie acceptable était celle juridique, et j'aurais été fier de dire aux gens blessés moralement "vous avez choisi la voie légale, vous avez fait le bon choix". Ceux qui font le choix des armes ne se sont pas attaqués qu'au journal, ils se sont attaqués à toute une nation. Le pays a communié dans la tristesse, les réunions spontanées ont prouvé au monde entier que la France est un pays de tolérance, d'unité dans l'adversité, et force culturelle et morale. Oubliez les propos haineux de certains, oubliez celles et ceux qui ont tenu des discours comme "Ils l'ont cherché". Qu'ont-ils cherchés? A provoquer? A assumer un discours dérangeant? Je ne saurais cautionner ni les caricatures blessantes, ni l'usage de la force pour s'en venger. Un dessin ne tue pas, il vexe. Une balle de fusil, elle, ne porte aucune mention morale ou culturelle. Elle tue, point final.

2 commentaires:

Fauve a dit…

Une précision de taille s’impose. L’Empire Otoman n’est jamais parvenu en péninsule hibérique, en fait, lors de son expansion maximale (On peut se référer à la carte de Al-Andalus.

Sans rancune ;)

JeFaisPeurALaFoule a dit…

Merci pour cette précision, elle corrige quelque-chose dont j'étais convaincu à tort.

Je rectifierai donc l'article en conséquence, et je n'ai aucune raison d'être rancunier:)

Merci, et n'hésitez pas à me corriger si je dis une connerie.