10 mars 2014

Je me demande

C'est au passage d'une lecture d'une brève journalistique que j'ai tiqué, et que je me suis mis à réfléchir à la problématique de la religion et du terrorisme. En effet, il y a cette affaire de jeunes embrigadés pour aller se battre en Syrie... Au premier abord, il s'agit là d'un effet médiatique, un étendard pour nous dire "Faites attention bon Français, il y a des arabes qu'on convainc d'aller se battre au nom de la guerre Sainte!". Dans le genre résumé, raccourci haineux à peine voilé par une once de "protégeons notre nation contre le terrorisme", ça se pose là. Et pourtant, sur le fond, il y a de quoi être alarmé, voire même très inquiets concernant la jeunesse en France, et surtout pour ce qu'elle a comme idéaux. Ne nous leurrons pas: les condamner au titre du terrorisme, leur dire haut et fort "Non, aller à l'étranger ne vous donne pas le droit de devenir des assassins, des djihadistes peut se comprendre, mais de là à en faire quelque-chose de légitime, je deviens déjà plus méfiant.

Pour commencer, sachons une chose fondamentale: le recrutement de gens pour des thèses terroristes, nihilistes, ou simplement religieuses passe toujours par trois phases. La première est l'analyse de la solitude de celui qu'on recrute. On lui présente la communauté, on lui fait admettre sa propre solitude morale, et qu'au fond, vivre en communauté, avec des règles identiques pour tous, cela offre bien plus de perspectives et de liens sociaux. La seconde phase est la mise en exergue de la différence, à savoir celle qu'on ressent avec d'autres communautés: manque de repères, absence de guide, moralité déclinante voire inexistante... On insiste alors fortement sur les côtés impurs d'autrui, sur les faiblesses des incroyants, jusqu'à les rendre haïssables. La troisième et dernière phase, la plus délicate, est de faire se révolter celui qu'on recrute: on lui donne la possibilité de considérer l'autre comme un ennemi, tant pour soi-même, que pour la communauté. Une fois cette étape atteinte, on peut inculquer des méthodes pour lutter. Certains pratiqueront la résistance passive (contre un oppresseur réel ou supposé), d'autres useront de la violence, du terrorisme, et donc de choses que, selon nos critères, nous estimons comme inacceptables. Qu'on s'entende bien: il ne s'agit pas là de légitimer la violence, le terrorisme, ou tout autre acte visant à tuer. Je ne fais que présenter la chose telle qu'elle est: entre celui qui prône la non-violence comme arme morale (Gandhi par exemple) et celui qui, pour des raisons assez proches comme l'indépendance territoriale (voir tous les mouvements indépendantistes dans le monde), il y a essentiellement une problématique de méthodes, et non d'idées. De fait: l'embrigadement de "jeunes" est quelque-chose de très formaté, avec des procédés particulièrement bien exploités.

A quoi s'adossent les recruteurs? En France? A l'absence d'identité, ou plutôt de reconnaissance de celle-ci. C'est, selon moi, un phénomène assez élémentaire où l'individualisme crée immanquablement un besoin de se reconnaître en quelque-chose. C'est là, toute la difficulté que nous sommes condamnés à affronter dans les prochaines années. Comment parler d'intégration ou d'assimilation des populations immigrées quand on ne leur donne ni une visibilité médiatique (hors des "ils mettent le feu à des voitures"), qu'on met leur Foi en avant comme étant source de violence, de criminalité ou de comportements rétrogrades, ni même le respect fondamental quand on parle d'eux? Je crois qu'il y a là de quo s'inquiéter: socialement mal intégrés, pétris par des clichés que s'empressent de colporter les corbeaux les plus sales, j'ai la conviction que l'appartenance ethnique, morale, religieuse et même politique deviennent des solutions pour que ces jeunes aient quelque-chose à quoi s'identifier.
Regardons attentivement les mouvements radicalisés: extrême-droite, groupes religieux aux dogmes durs, orthodoxie radicale des pratiquants, ce sont les mêmes causes qui mènent aux mêmes conséquences. L'émergence de mouvements xénophobes tient également à ce besoin d'identité, à cette nécessité de s'identifier dans un groupe. On parle bien de "jeunesse identitaire", et non pas de "fascistes en devenir".

Pour ma part, je me demande ce qu'il y a lieu de faire en cas de dérive. Ces jeunes condamnés, ne fait-on pas fausse route en les mettant en prison? Ne devrait-on pas leur offrir une vision différente de celle qu'un recruteur zélé a réussi à leur inculquer? En prison, rien n'empêchera qu'ils deviennent, eux aussi, des recruteurs efficaces, des porte-voix déterminés à faire entendre "leur" vision du monde. C'est plus le recruteur, celui qui a organisé leur embrigadement qui serait à traquer et à enfermer, et non pas ceux qui sont des victimes. Quand on traque une secte, est-ce qu'on traque l'adepte manipulé, ou bien le manipulateur? Je me demande sincèrement si, en condamnant les victimes, on ne les pousse pas à durcir encore un peu plus leurs discours radicaux et haineux.

Trop de personnes se contentent d'étiqueter la haine, notamment en classant les "bons" et les "méchants". C'est si simple, une jolie case bien formatée, ça évite de s'interroger et surtout de craindre pour l'avenir. Reprenons le chemin des campagnes, des agglomérations sinistrées par le chômage. L'extrême-droite fait recette; le discours "maniéré" du FN trouve audience, et pourrait faire bouger la carte politique pendant les municipales; mais pourquoi? Parce qu'il y a une jeunesse, qu'elle soit blanche, basanée, native de France, ou native d'ailleurs, qui a besoin qu'on lui redonne non seulement de l'espoir, mais surtout des repères. Qu'offre-t-on à nos jeunes? L'image d'un chômage galopant, des diplômes ne garantissant en rien de trouver un emploi, des riches toujours plus riches, des pauvres toujours plus pauvres, et un monde où l'escroc se révèle plus protégé que l'honnête homme. Est-ce une bonne façon de faire que de parler des revenus du trafic de stupéfiants? C'est en soi une attitude criminelle, car aussi incitative qu'incomplète dans sa description. En effet, on parle du "dealer du coin de rue qui se fait un SMIC par jour ou presque", sans préciser que dans trois ans, il prendra de la prison, qu'il sera ruiné, que rien ne l'attendra dehors si ce n'est la cité, l'ennui, le chômage... et qu'il fera cela jusqu'à être usé et brisé par la spirale du crime, pour finir fauché ou presque, désespérément prisonnier du béton de la banlieue. C'est ça, le message des médias? Et on s'étonne que des jeunes cherchent d'autres voies? La Foi, l'engagement politique, ou dans des associations (musique, art...), ce sont des choix créés par l'absence fondamentale de perspectives, et encore plus d'impression que la société se construit avec notre jeunesse, et non pas sans en tenir compte.

Aucun commentaire: